Anan ATOYAMA a vécu le 11 septembre 2001 à New York. Depuis, elle questionne les relations entre l'individu et le système politique. Black Rain donne corps aux voix effacées ce jour-là.
“Pluie noire” fut utilisée pour décrire les retombées nucléaires des bombes américaines subies par les Japonais. Noires, par le mélange de poussière, d’eau et de débris, ces averses nocives furent vécues comme salvatrices par des victimes complètement déshydratées par le souffle de l’explosion. Leurs bouches accueillaient un véritable poison.
Ce solo, énoncé du cœur, est un dialogue avec les oubliés des innombrables guerres des vingtième et vingt et unième siècles, qui continuent de plonger l’humanité dans la souffrance, le ressentiment et la peine.
Les conflits de cette envergure questionnent sur les sorts croisés des nations et de leurs citoyens.
Malgré la réalité, peut-on se donner le droit d’imaginer se libérer de cette brutalité, de s’envelopper dans un « rêve d’amour » soignant toutes les blessures ?
Le thème, le contexte et le processus créatif font de ce solo une pièce à part entière dans le répertoire de la compagnie.
Un solo, énoncé du cœur, qui donne corps aux voix éteintes des conflits internationaux.
Interview Anan Atoyama
Marc Ribault : Anan, comment est né ce solo ?
Anan Atoyama : Le point de départ de ce solo date du 11 septembre 2001. Ce jour paraissait comme un autre. Je prends le métro. Une annonce est faite par haut-parleurs, nous informant que tous les passagers doivent descendre à la prochaine station. C’est une fois à l'air libre sur Lexington Avenue que j'ai senti que l'atmosphère était différente. Les gens fuyaient et criaient, comme dans les films catastrophes de Hollywood. Quelqu'un a crié qu'il y avait une bombe. Je me suis demandée ce qu'il racontait, le désordre était omniprésent. Puis quelqu'un d'autre s'exclama : « La guerre a commencé ! » J'ai soudainement réalisé qu'il se passait quelque chose de très grave, qu'un évènement majeur était en train d'avoir lieu. Mon corps peut aujourd'hui encore se souvenir de cet instant.
Je me suis sentie perdue, comme tous les gens qui étaient autour de moi, et un sentiment de désespoir mêlé à la peur nous envahissait. Dix heures plus tard, quand quelques lignes de métro ont fonctionné à nouveau, je suis rentrée chez moi. La ligne que je devais emprunter était en surface. En passant sur le pont qui enjambe l'East River, j'ai pu voir, à la place des tours jumelles, cette immense colonne de fumée s'élever continuellement et calmement. Toutes les sensations s'étaient inscrites dans mon corps et une longue maturation s'est mise en place. Ce n'est que sept ans plus tard, en 2008, que cette maturation a frappé à la porte, me demandant de pouvoir s'exprimer.
M.R: Comment s’est passé la création de Black Rain ?
A.A : C’est le premier solo de la compagnie. Sa création fut une expérience fondatrice pour moi. Après l'intuition que je devais me pencher sur ce sujet, je me rappelle avoir plongée dans la lecture des récits individuels des victimes des bombes atomiques, ceux dont l'existence a soudainement basculé à Hiroshima et Nagasaki, mes ancêtres japonais. Je me rendais parallèlement au studio pour laisser mon corps s’exprimer : rien ne venait, ou des bribes. Pourtant je ne me sentais pas perdue, je sentais plutôt le besoin de temps, ou plutôt d’espace : faire du vide en moi afin d’accueillir quelque chose, ou quelqu’un.
Et en effet, la gestation a soudainement pris fin et le flux créatif s’est déclenché. La demi-heure de danse était créée au bout de deux jours... Un personnage est né, condensant dans son corps et son âme toutes ces expériences. Je lui donne mon corps et c'est ce personnage qui danse la pièce « Black Rain ».